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Anxiété climatique ou indifférence (et pourquoi vous n’en êtes pas responsable)

L’anxiété et l’indifférence climatiques sont des réactions courantes face au réchauffement planétaire. Cependant, ce n’est pas votre devoir de « réparer » le climat – ni de votre faute si vous ne ressentez rien du tout. En réalité, les experts suggèrent que ces deux réactions sont tout à fait naturelles. Poursuivez votre lecture et découvrez pourquoi...

Ce n’est pas un secret : la crise climatique a un impact profond sur les populations et les communautés à travers le monde. Les feux de forêt dans l’ouest des États-Unis et au Canada, l’élévation du niveau des mers, sans oublier les changements de températures qui perturbent la disponibilité des récoltes alimentaires et de l’eau, sont tous des facteurs qui touchent de plus en plus la vie des gens. En plus de ces impacts très tangibles, la façon dont le changement climatique affecte notre santé mentale suscite de plus en plus d'inquiétudes.

En 2022, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) déclarait que la santé mentale est une priorité pour agir face aux changements climatiques, citant un rapport du GIEC qui a révélé que « l’accélération des changements climatiques constituait une menace de plus en plus grande pour la santé mentale et le bien-être psychosocial. »

Ceci s’explique en partie par les risques pour la santé mentale associés à l’augmentation des températures mondiales, mais peut aussi être considéré comme un produit de l'incertitude et de la peur. D’où l’arrivée de l’expression « anxiété climatique ».

Qu’est-ce que l’anxiété climatique?

Le Handbook of Climate Psychology décrit l’anxiété climatique comme étant « une angoisse émotionnelle, mentale ou somatique accrue en réponse à des changements dangereux dans le système climatique ».

Bien qu’il s’agisse d’un problème croissant, nombreux sont ceux qui s’opposent à ce que cette condition soit définie comme étant pathologique. Graham Lawton, du magazine New Scientist, par exemple, décrit l'anxiété climatique comme « une réaction rationnelle face à l'état du climat ».

Cela explique peut-être sa prévalence : une étude menée auprès de 10 000 enfants et jeunes de 16 à 25 ans a révélé que 84 % d’entre eux étaient au moins modérément inquiets de l’avenir de la planète. 59 % étaient très ou extrêmement inquiets.

Bien que l’anxiété climatique semble affecter les jeunes de façon démesurée, un pourcentage non négligeable de 67 % d'Américains éprouve « au moins des niveaux légers d’angoisse psychologique liée au changement climatique », selon l'American Psychiatric Society.

Si vous vous sentez comme ça, vous n'êtes pas seul.

Alors que la cause est claire, il semblerait cependant que ces symptômes soient aggravés par la consommation de « mauvaises nouvelles ». Un article publié par Health Communication a révélé que les personnes qui consomment des informations à caractère problématique sont « beaucoup plus susceptibles » de souffrir d'une mauvaise santé mentale. Un de ces comportements « problématiques » est souvent appelé le « défilement morbide ».

En revanche, le Handbook of Climate Psychology suggère également que le fait de porter attention à ce qui se passe est « une réaction plus saine que le déni ou le désaveu », d’où une tendance à éviter les problèmes liés au climat.

Donc, d’où vient l’indifférence climatique? Et, est-ce que les médias sociaux empirent la situation?

Le rôle des médias sociaux

Éviter les mauvaises nouvelles est plus facile à dire qu’à faire. D'autant plus que les rapports médiatiques contenant des informations ou des statistiques négatives attirent 30 % plus d'attention.

Les perspectives et les nouvelles plus optimistes peuvent ainsi être facilement négligées, ce qui risque d'augmenter l'anxiété et l'indifférence. Et les plateformes de médias sociaux ne sont pas nécessairement d'un grand secours.

Une enquête de la BBC a révélé que la mésinformation sur le climat est un problème croissant sur des plateformes comme TikTok, une vidéo de déni quant aux changements climatiques ayant été visionnée plus de 9 millions de fois.

Alors que plusieurs utilisateurs sont capables de faire la différence entre le dénialisme climatique flagrant et les articles provenant de sources plus fiables, les algorithmes des médias sociaux peuvent faire preuve de partialité et créer un « effet de chambre d'écho ». Ce qui signifie que les personnes ayant déjà participées à des conspirations climatiques risquent de se voir proposer davantage de contenus identiques.

Faute de diversité des sources, il peut être difficile de maintenir une perspective claire ou nuancée. Cela pourrait certainement renforcer les sentiments d'anxiété et d'indifférence à l'égard du climat. Mais sommes-nous trop enclins à blâmer les médias sociaux?

Bien qu'ils jouent certainement un rôle, nombreux sont ceux qui pensent que blâmer les médias sociaux est une distraction indésirable. En fait, une étude britannique a révélé que l'inaction des gouvernements en matière de changement climatique est également liée à l’angoisse psychologique des jeunes. Dans ce cas, la meilleure chose à faire serait de voir les responsables agir davantage, et non de passer moins de temps sur les médias sociaux.

Le fait de centrer le débat sur le changement climatique autour des communautés en ligne risque également de l'orienter vers des objectifs occidentaux, ce qui pourrait favoriser davantage les divergences en matière d'action climatique dans le monde.

« Les chercheurs s’inquiètent particulièrement du fait que les pays et les régions qui subissent les effets les plus néfastes dus aux changements climatiques sont ceux où la recherche sur la santé mentale liée au climat est la moins avancée », a déclaré Jennifer Uchendu de SustyVibes, une organisation environnementale basée à Lagos, au Nigéria.

En 2022, Mme Uchendu a lancé le projet « Eco-Anxiety in Africa », qui documente les troubles émotionnels causés par la chaleur et les conditions météorologiques irrégulières chez les citoyens de cinq régions africaines.

Nous savons que des personnes à travers le monde entier sont touchées par l’angoisse liée au climat. Mais d’où vient l’indifférence? Et pourquoi est-elle un problème?

Quelle est la différence entre l’anxiété climatique et l’indifférence climatique?

Si l’anxiété climatique est le résultat d’une prise de conscience et d’attention portée envers les questions climatiques, alors l’indifférence climatique pourrait être considérée comme une forme d’ignorance ou de déni. Ce n’est peut-être pas aussi simple.

Ceux qui ne croient pas aux changements climatiques sont souvent actifs dans la participation et la diffusion de fausses informations, ceux qui se sentent indifférents, par contre, sont peut-être plus enclins à accepter les changements climatiques, mais ont moins l'intention d'agir.

Pourquoi les réactions face à la crise climatique sont-elles si différentes? Et comment cela affecte-t-il le comportement?

La psychologie nous enseigne que les êtres humains gèrent l'anxiété de manière complexe, avec divers mécanismes d'adaptation qui nous aident à « nous défendre contre l'anxiété, les conflits et les menaces envers l'estime de soi ». L'apathie est l'un de ces mécanismes de défense.

L’anxiété climatique et l’indifférence climatique peuvent donc constituer les deux revers d’une même médaille – les deux étant des réponses naturelles aux temps incertains que nous traversons.

Pourquoi les gens agissent-ils si différemment face à la crise climatique?

Souvent, il semble que les individus qui se sentent plus positifs face à un défi peuvent être plus engagés dans la solution que ceux qui se sentent anxieux, déprimés ou menacés par ce défi. Les théories des sciences du comportement suggèrent en effet que l’angoisse psychologique rend l'inaction plus probable, puisque l'anxiété et la dépression « réduisent l'auto-efficacité et, par conséquent, la probabilité d'un changement de comportement efficace ».

Une autre théorie importante, appelée « impuissance acquise », suggère que le sentiment de désespoir dû à « l'incapacité individuelle à faire face au changement climatique » peut entraîner une baisse de la motivation à s'engager dans la recherche de solutions.

Certains chercheurs croient que ce n’est pas seulement le type d’émotion qui affecte le comportement, mais le niveau d’« activation » – comme l’explique le Journal of Climate Change and health :

« Bien que toutes les émotions négatives soient désagréables, leur niveau d’activation diffère. Ceci est important parce que les émotions moins activatrices entrainent un désengagement face à une menace ressentie, tandis que les émotions plus activatrices mènent à des tentatives de comportement visant à réduire la menace, soit en s'approchant de la situation, soit en l'évitant (c'est-à-dire la combattre ou la fuir) ».

L’article s'est appuyé sur les données d'une enquête nationale australienne pour prédire l'impact de certaines émotions sur les réactions des individus face à l'action climatique. Elle a révélé que « la colère prédit de meilleurs résultats en matière de santé mentale, ainsi qu'un plus grand engagement dans l'activisme pro-climat et des comportements personnels », tandis que les sentiments d'angoisse et de dépression sont « moins adaptatifs et contribuent à un niveau de bien-être plus bas ».

Comment faire face à l’anxiété climatique

Des sentiments de stress et de blocage aux symptômes physiques tels que les crises de panique, la perte d'appétit et les troubles du sommeil, l'anxiété climatique peut affecter les gens de manières différentes. Les psychologues s’entendent pour dire que nous ne devrions pas chercher à effacer, pathologiser ni à résoudre le problème, mais plutôt à aider les individus à y faire face.

Comme l’écrit Graham Lawton, si ce type d’anxiété est traité comme étant un état pathologique, « les forces du dénialisme auront gagné… ce que nous observons n’est pas un tsunami de maladies mentales, mais une éclosion d’équilibre mental qui aurait dû se produire il y a longtemps ».

Comment aider les individus qui se sentent ainsi? Et comment peuvent-ils commencer à gérer leurs symptômes?

Britt Wray, directrice de CIRCLE à Stanford Psychiatry, reconnaît les avantages sur le fait de tenir compte des émotions liées à la crise climatique, tout en cherchant à soutenir les personnes qui en souffrent :

« Notre objectif est de protéger les aspects de [l’anxiété climatique] qui sont mobilisateurs et positifs pour le changement social et environnemental, et d’éviter que celle-ci nuise à la santé mentale des gens. »

Soins de santé

Il est également important de reconnaître le rôle des soins de santé. Les thérapies par la conversation et les consultations peuvent soulager les symptômes d’angoisse et aider les gens à gérer leurs émotions, à vivre le moment présent et à prendre du recul.

Soins personnels et prise de conscience

Tout comme l’anxiété généralisée, il est possible d’améliorer l’anxiété climatique en introduisant des moments de calme dans la routine. La respiration, la méditation et le fait de passer du temps dans la nature intentionnellement peuvent contribuer à régulariser le système nerveux et à réduire les symptômes.

Auto-efficacité

Il faut savoir que vos actions peuvent conduire à un véritable changement, aussi petit soit-il. Certaines personnes trouvent réconfort à contribuer aux petits changements qu’ils peuvent apporter – du recyclage de déchets ménagers à des choix alimentaires plus durables. D'autres préfèrent utiliser leur voix pour demander des comptes aux élus locaux. Il faut vous rappeler que ce n'est pas à vous de régler le problème. Mais trouver des activités qui donnent l'impression de faire partie de la solution peut certainement aider à se sentir plus en contrôle.

Communauté

Rien ne remplace le sentiment d’appartenance à une communauté de personnes partageant les mêmes idées et luttant pour une cause commune. Le fait de se joindre à une organisation ou faire du bénévolat auprès d'un organisme de bienfaisance aide les gens à se sentir connectés. Force of Nature est l'un de ces organismes. Il s'agit d'une équipe de jeunes pionniers qui cherchent à transformer l'anxiété climatique en action.

« Ce qui m'a aidée à me libérer de cette anxiété, c'est de devenir un agent du changement et de la transformation dans ma communauté », a déclaré Julia Borges à la BBC. « Je ressens toujours ce désespoir, mais j'y travaille avec mon thérapeute - et cela m'aide d'en parler.

Britt Wray recommande également d’adopter une approche de santé publique face à cette menace croissante. Elle estime que les gouvernements et les organismes de soins de santé devraient chercher à contribuer à la gestion de ce problème. Mais les entreprises ont également un rôle important à jouer.

Quel rôle les entreprises doivent-elles jouer dans la lutte contre le changement climatique?

Selon le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), environ 70 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone proviennent d’une centaine d’entreprises seulement.

Puisque les entreprises représentent la plus grande menace pour l’environnement, elles détiennent également le plus grand potentiel de solutions, dont la plus simple consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutes les entreprises ne sont pas pour autant pressées de passer à l'action. En fait, c'est le géant pétrolier British Petroleum (BP) qui a été le premier à populariser le terme « empreinte carbone » en 2004. Dans le but de rejeter la responsabilité sur les consommateurs et de permettre à l'entreprise d'éviter de rendre des comptes, BP a publié un « calculateur d'empreinte carbone » qui se concentre sur les habitudes quotidiennes d'un individu en matière d'alimentation, de déplacements et d'achats, plutôt que sur les émissions produites par l'industrie pétrolière et l'utilisation de ses produits.

Aujourd'hui, il est impossible de nier que les entreprises ont une énorme responsabilité. L'Accord de Paris a fixé comme objectif de limiter le réchauffement climatique à seulement 1,5 ℃ au-dessus des niveaux préindustriels d'ici la fin du siècle. Pour y arriver, les gouvernements, les entreprises et d'autres organismes devront déployer des efforts collectifs considérables afin de ne plus dépendre des combustibles fossiles et d’adopter des solutions alternatives plus durables.

Les entreprises peuvent et doivent jouer un rôle clé dans cette transition en réduisant les émissions liées à leurs activités et à leurs chaînes d’approvisionnement, en réduisant également les déchets et en adoptant des modèles fondés sur l’économie circulaire.

Il ne s'agit pas seulement de s'abandonner à une noble cause. Avec une demande accrue de technologies à faible consommation d'énergie et d’alternatives renouvelables, les solutions zéro carbone peuvent représenter une occasion intéressante pour les entreprises. D'ici 2030, les solutions zéro carbone pourraient être compétitives dans des secteurs représentant plus de 70 % des émissions mondiales, selon les Nations unies.

Ces changements peuvent également améliorer la productivité des entreprises. Plus de 93 % des salariés affirment que la lutte contre le changement climatique est importante pour leur motivation personnelle et leur bien-être au travail.

Le jeu du blâme

Lorsque nous parlons d’anxiété et d’indifférence climatiques, nous pouvons facilement placer les individus au centre de nos préoccupations, et leur demander de changer leur comportement pour améliorer leur bien-être. Cependant, les individus ne sont jamais à blâmer. Et les médias sociaux non plus - du moins, pas tout à fait.

Les entreprises qui contribuent le plus aux changements climatiques, ainsi que les gouvernements et les organismes qui les réglementent, sont les mieux nantis pour faire évoluer la situation (et améliorer la santé mentale des populations du monde entier).

Dans de nombreux cas, les entreprises sont d’accord. La moitié des entreprises américaines de Fortune 500 ont pour objectif de réduire la pollution climatique. Leurs efforts équivalent à la mise hors service de plus de 40 centrales électriques au charbon pendant un an. Mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire.

L’anxiété et l’indifférence climatiques sont toutes deux des réactions rationnelles face à une transition difficile dans laquelle de nombreux individus ont l’impression de ne pas avoir de contrôle. Les médias sociaux et la mésinformation ne sont pas les seuls à blâmer. Ce qui fera sans doute la différence, c’est un changement généralisé, soutenu par les gouvernements et mis en œuvre par les entreprises.

*Veuillez noter que la majorité des liens aux articles utilisés en référence proviennent d’une tierce partie et sont offerts en anglais.